dimanche 8 novembre 2020

09.11.2020 Lettres à Roselyne : Le cauchemar


 

Ce matin là Roselyne avait décidé de prendre le métro pour aller travailler. D'humeur particulièrement joyeuse, elle s'était dit qu'un bain de foule lui ferait le plus grand bien. Quelle réussite ! La ligne 1 n'était pas bondée et pourtant elle ne trouva jamais le temps de s'asseoir ! "Madame Bachelot c'est formidable !" "Et pour le rayonnement français !!" "De défendre les artistes !" "Et les efforts pour l'Opéra !" "Tout ce que vous faites pour la culture !" "J'adore votre ensemble fuchsia !" Elle avait du mal à répondre à tout le monde tant les compliments pleuvaient de toute part ! Le bruit de la rame était assez fort et constant, il fallait un peu élever la voix pour se faire comprendre. Roselyne se disait que ça l'échaufferait pour tout à l'heure à l'Assemblée quand elle devrait défendre son idée d'une TVA à 2.1% sur le disque ! "Vous êtes plutôt Puccini ou Verdi ?" "Et Manu il est sympa ? Hahaha" "Mais La Traviatta enfin !" Un débat s'était ouvert sur l'opéra Italien entre un vieux monsieur tout fripé et une jeune étudiante en musicologie, Roselyne trouvait tout le monde bien passionné ce matin ! "Et que pensez vous du dernier Victor Hugo ?" Elle pensa à une plaisanterie. "Victor Hugo est mort voyons !" répondit-elle mais le bruit incessant du wagon l'empêcha d'entendre la réponse du jeune homme. Ce martellement continu de sons très profonds lui prenait le ventre et elle trouvait la ligne droite de Gare de Lyon à Palais Royal bien longue aujourd'hui. "Les intermittents !" "Bravo pour l..." "Il est sympa Druck..." "HAHAHAHA" "album de Carla Br..." "FORMIDA..." Roselyne avait la tête qui tournait tandis que les joyeuses questions des passagers du train devenaient un brouhaha incompréhensible ! Et ce martellement qui continuait de plus belle : boum boum boum boum comme un rythme interminable qui lui remuait les entrailles ! Elle aurait voulu sortir mais le wagon filait à toute allure. 
On avait passé Rivoli elle en était sûre. "DER NIBELUNGEN MADAME DER NIB..." "Vous allez travailler ? hahAHAHA" "et Ruffin il est toujours grogn..." "Excusez-moi" "HAHAHAH" "mais en 1810 Verdi n'était pAs né paUvRE idiOTE" "HAHAhoooOOOH" Le balancement, le bruit, les coups de basse, les gens devenaient fous et criaient mais elle ne comprenait plus ce qu'ils disaient, tout devenait chaotique, tonitruant, BOUM BOUM BOUM Roselyne voulait sortir, elle manquait d'air, un homme s'était levé et la dévisageait. Il avait une difformité étrange, son oreille gauche était au moins trois fois plus grosse que la droite. Il ne la quittait pas du regard. Elle étouffait mais personne ne semblait... "PAGNy dans MâdAmE BeUteurFlaiLLE éVidAMAn... HahahHAHAHAH MAIS NON c'est Blanquer hahahHAHAHhh ! Son bella ancorA ? BELLA comE un'AurORAAAAAhahahHAHAHAH. L'homme continuait de la dévisager, il était pratiquement devant elle, le tapage incessant continuait de plus en plus fort, Roselyne suffoquait, elle allait tituber quand il lui saisit le bras.
Tout s'arrêta soudain, le mouvement, les cris, la vitesse, les gens étaient en pause, figés dans leurs disputes. Le martellement était toujours là mais lointain, comme filtré. L'homme la regardait droit dans les yeux. Vu de loin elle l'avait trouvé flou, sale, inquisiteur, malveillant, mais là, plantée devant lui, lui devant son équilibre précaire, elle le trouvait plutôt charmant : un visage fin, un regard enfantin mais profond. Son énorme oreille lui allait presque bien, il avait un t-shirt d'un jaune chaud avec une inscription "Démon Jolie", et sur le bas du ventre une sorte de grillage qu'il portait en bandoulière. C'est de là que venait le martellement incessant, pas du train. Boum boum boum mais elle y distinguait à présent d'autres sons, certains très aigus qui dansaient à une vitesse folle, d'autres plus éthérés plaquaient des accords plaisants, enivrants même, et des bribes de voix dans un écho incessant répétaient "i will take you through the night, i will take you through the night". Roselyne se sentait partir, enveloppée de douceur, de bienveillance, le rythme doux, organique, lui prenait tout le corps, elle volait presque. Puis le son s'arrêta, le silence intégral. Le garçon lui souriait.
"Je suis Laurent, je vous ai écrit. J'étais DJ avant. Avant que les lieux de danse et de fête soient fermés. C'était mon travail. J'aimerais me changer, manger un bout, ne pas frauder dans le métro, travailler à nouveau. Je vais vous laisser maintenant."
Roselyne sentit la main la lâcher, le bruit revenir, le chaos, les cris, la vitesse, le martellement, le train allait beaucoup trop vite, il entrait en gare de Palais Royal beaucoup trop vite, il allait dérailler, il déraillait, IL DERAILLAIT !
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Roselyne se réveilla en sursaut, suffocant. Elle pris une immense inspiration, puis souffla doucement. Son cœur battait à 150.
Quel horrible cauchemar ! se dit-elle, mais les yeux du garçon ne la quittaient plus. Démon Jolie. Elle sentait en elle une détermination, une fougue, qu'elle n’avait pas sentie depuis bien longtemps. Les clubs et métiers de la nuit. Castex, Darmanin et le Conseil Folamour feraient bien d'être en forme, cette fois-ci ils allaient en découdre.
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